J’ai vécu 14 ans dans une belle et grande maison au sein d’un petit village de montagne. J’habitais à côté d’une forêt, en pleine campagne et je passais de longues heures dans mon grand jardin à me raconter des histoires, à jouer, heureuse et insouciante, et seule…
Je suis née dans les années 80, cadette de la fratrie.

Etre comme tout le monde

Ma mère a épousé mon père car il savait lire et compter. Il habitait à Paris, la capitale. Elle, issue d’une famille de paysans, savait à peine lire et écrire. Je ne pense pas qu’il y avait de l’amour entre eux, mais plutôt un intérêt commun : Être comme tout le monde. C’est-à-dire :marié(e), faire construire une maison, avoir des enfants, aller à l’église tous les dimanches, avoir un chien et deux voitures.

Une enfance en creux

Les souvenirs de mon enfance sont creux. J’ai l’impression d’une vaste solitude qui m’enveloppait comme des parents pourraient envelopper leur enfant. Ce sont des questions sans réponses, des non- dits, de la méfiance, du mensonge, du paraître, du faire-semblant.

Petite, j’étais gentille car je ne voulais surtout pas décevoir mes parents. Je voulais qu’ils m’aiment, qu’ils me disent que j’étais jolie et adorable. Je n’ai entendu aucun de ces trois doux mots. C’était trop demander peut être. Je pensais donc que j’étais effectivement beaucoup trop exigeante et pas à la hauteur de ce que mes parents attendaient de moi. Je me suis donc fait encore plus discrète, jusqu’à disparaitre de moi-même, cette petite fille joyeuse et légère. J’ai attendu, attendu, rien n’est jamais venu.

Gagner plus d’argent

Ma mère a travaillé dur pour subvenir à nos besoins. Mon père ne trouvait pas de travail selon lui. Quand j’avais 8 ans, ma mère est partie de l’autre côté de la frontière pour travailler et gagner nous disait-on « 4 fois plus d’argent». Elle travaillait 2-3 jours puis revenait épuisée à la maison pour 2 jours et
ainsi de suite. Mon père se laissait vivre, enfermé dans son bureau, nous laissant seules dans la chambre ou le jardin. Finalement il a trouvé du travail et s’est mis à rentrer très tard le soir, ce qui ne changeait pas grand chose, en fait, puisqu’il n’avait jamais été là pour nous.

Des objets de décoration

Ma sœur et moi étions deux enfant seules, comme des objets de décoration qui faisaient partie de cette grande maison. C’est elle seule qui m’a sauvée ! Elle qui n’avait que 3 ans de plus que moi. Elle m’a remise sur le droit chemin plus d’une fois car je commençais à « filer du mauvais coton ». Elle m’a aimé, elle m’a aidé à faire mes devoirs et me faisait réciter mes leçons, elle me bordait le soir… C’est ma grande sœur et à la fois, ma maman aimante.

Tu as tout ce qu’il te faut !

Des habits neufs que l’on pouvait montrer, de bons plats maison, le petit chien, le vélo tout terrain, les activités extra scolaires…. Tous ces artifices dissimulaient un manque d’amour, l’incapacité de mes géniteurs à être des parents aimants. On me disait : «Tu as tout ce qu’il te faut ». Tout oui, mais pas l’essentiel : un peu d’amour ou, au minimum, un peu d’attention, de l’écoute. Je me faisais alors encore plus petite pour disparaitre encore plus et encore mieux. Je ne comprenais pas cette manière de vivre. J’étais triste. Je n’avais pas le droit d’être en colère, pas le droit d’avoir des émotions. L’important c’est l’image que l’on pouvait montrer aux autres.
On m’avait conditionnée à mentir : « ne dit à personne que maman travaille de l’autre côté de la frontière, ne dit pas que l’on va divorcer… ». mais lorsque je leur expliquais que j’avais failli avoir un accident, ou que je m’étais fait courser seule dans la forêt à 8 ans par un troupeau de vaches, on me traitait de menteuse. Au fait, que faisais-je seule dans une forêt à 8 ans ?

A sa disposition…

A l’âge de 14 ans, mes parents ont finalement divorcé. Ma mère a quitté mon père, puisqu’elle était déjà avec un autre homme depuis un certain temps. Pendant des années, elle a privilégié sa vie de maîtresse à sa vie de mère. Puis, lorsque cet homme l’a quitté, elle m’a récupéré. Moi, la plus jeune,comme une cane pourrait appeler son caneton afin de le remettre sous son aile. Je me sentais à cette période, non plus un objet de décoration mais un animal. A sa disposition, seulement quand elle en avait besoin.

Mon père ne m’a jamais dit qu’il m’aimait, ne m’a jamais porte intérêt, ne m’a jamais parlé comme un père pourrait parler à sa fille. A la maison je ne pouvais pas m’exprimer. On me disait : «arrête de parler !»

Qu’est-ce que tu lui as fait ?

Alors que j’avais 16 ans, j’ai été agressée par un de mes professeurs. Cet homme, d’un certain âge, en qui je cherchais un frère, un père de substitution, a violé mon intimité et ainsi trahi ma confiance, un soir dans sa voiture au bord d’un chemin. Quand je l’ai dit a mon père, il m’a répondu : « Quels vêtements portais tu ? Qu’est ce que tu as fait pour qu’il te fasse Ça ? »
Mais en fait, que faisait donc cette mineure, seule, avec un homme adulte, le soir dans sa voiture ?
A cause du disfonctionnement du schéma parental, j’ai vécu plusieurs traumatismes dans ma vie d’enfant et de jeune adulte. La vie a longtemps eut peu de sens pour moi.

On ne m’a pas appris à vivre

J’ai mis presque 40 ans à m’autoriser à avoir le droit d’en vouloir à mes parents, de comprendre qu’ils ne sont pas parfaits. Mon père est un parfait étranger, ma mère a été une bonne copine, ma sœur a été ma mère et moi j’étais perdue.
Alors j’ai cherché auprès des autres ce que mes propres parents n’ont pas su me donner : de la reconnaissance, de l’amour, du sens à ma vie. Une mère occupée à travailler, un père présent toute la journée mais complètement absent, vide d’amour, d’intérêt pour ses enfants. Ces longs week-ends à jouer seule n’en finissaient pas. Je suis née pour exister mais on ne m’a pas appris à vivre, pas appris à être, à devenir, à penser…
J’étais une herbe folle qui aurait pu tant de fois mourir à cause de ce manque d’amour, de cette solitude, cet abandon. Toujours en insécurité, j’ai vécu au gré du vent, au lieu d’être portée par mes parents. Je m’angoissais pour un rien.
Aujourd’hui encore, la tristesse est profonde et la déception à leur encontre, immense.

Ma revanche

Aujourd’hui, grâce à un travail psychothérapeutique, je remets les choses à leurs places, tout en essayant d’en trouver une pour moi.
Je fais des efforts pour devenir indépendante avec une mère qui, s’ennuyant sans doute dorénavant, se proposait sans cesse pour nous aider afin de devenir indispensable à ma famille tout en s’immisçant dans ma vie intime.
Malgré mes manques, j’avance et je comprends que moi seule peut décider de ma propre vie et que personne n’a à me diriger, à me façonner. Petit a petit, je me construis avec ce que la vie me donne et avec ce que je n’ai pas reçu. J’essaie de m’enraciner et d’acquérir des bases, du bon sens, de gérer et digérer cette colère qui a mis tant de temps à sortir. Ce travail personnel et intime m’a ouvert les yeux, me donne le goût de vivre et me rend plus forte que jamais. Ce travail, c’est ma revanche contre mes parents, complices tous deux, incapables de donner ce dont j’avais le plus besoin : de l’amour.
Nous étions tous fragiles mais la relation à ma grande soeur est devenue, petit à petit, plus solide qu’un rocher.
Je me demande parfois pourquoi nous devrions nous sacrifier pour notre père. Je ne veux pas transmettre à mes enfants mes peurs, mes incertitudes et un manque de confiance abyssal.
Je m’efforce de transformer cette profonde tristesse en force. Je me répète souvent que je ne suis pas responsable de ce qu’on m’a fait ou ne m’a pas fait, mais que je suis responsable maintenant de ma propre évolution et surtout, de celle de mes enfants.

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