Ce témoignage est pour moi, une occasion de faire le point. C’est aussi un moyen de dire combien la lâcheté prend des masques changeants….

D’origine étrangère, ma famille a tout fait pour se fondre dans la société française, au point même de franciser notre nom. Mes parents étaient un couple qui se voulait des gens travailleurs (même le dimanche), polis (jusqu’à l’hypocrisie), économes (même sur le plaisir). Bref des gens « sans histoires ».
Je les adorais même si mon père était austère, intolérant, sévère. Je commençais une scolarité sans histoire. Tellement sans histoire, qu’il fallut que je m’en crée.
Il fallait bien que j’existe ! Cet homme, mon père, m’aida alors à me sortir des grosses bêtises que j’avais faites. Mais je dus le lui payer cher. Très cher. Moi qui adorais la poésie et l’écriture, Il m’avait destiné à reprendre sa droguerie. Je refusais.
Du jour au lendemain, je signais pour l’armée. Celle qui part. Celle qui risque sa vie. Celle qui me permit de me sentir un grand parmi les petits. Ce cadre strict me convenait parfaitement. Je ne pouvais être que dans les extrêmes. La prison ou l’armée.

De rébellions en conquêtes féminines, je vécus pour moi. Je payais cette liberté en entretenant, à distance, femme et enfants. Mes enfants grandissaient sans que je m’en rende compte. Ma femme avait une vie sociale où j’étais complètement absent. À chaque retour je retrouvais ma moto, des chemises propres, le gazon coupé et les affaires courantes réglées. Ce qui s’était passé pendant mon absence ne m’intéressait pas.
À cette époque, tout ce qui n’était pas l’armée n’existait pas.

La retraite: Une déchirure

Et vint le jour de la retraite. Une déchirure. Un rejet. Un abandon. Toutes mes références s’écroulaient. L’armée ne voulait plus de moi. Désormais elle me considérait comme un bon à rien. Pour elle, j’avais souffert. Pour elle, mon corps arborait des dizaines de blessures. Je perdais la seule identité, en somme, que j’avais pu construire depuis mon adolescence. D’une vie de groupe, active, sportive, virile, je tentais de poser mon bagage dans une famille, ma famille, qui m’était étrangère. Le premier mois passé à la maison, je me sentis de trop, inutile.
Et puis un jour, le hasard voulut que je rencontre un vieil équipier de caserne qui s’était reconverti dans l’humanitaire. Grâce à lui, je réussis à partir plus d’un an en mission pour une organisation non gouvernementale (ONG). J’avais trouvé le moyen de quitter, une nouvelle fois, une vie civile sans intérêt pour moi et une famille qui n’avait plus rien à me dire.

En aidant les autres, je survivais…

Avec le recul, je crois que cette opportunité m’a sauvé la vie, pour un temps: J’étais au fond du gouffre et incapable de prendre du recul. En aidant les autres, je survivais. Pour 3 sous, je pouvais enfin repartir crapaüter par monts et par vaux, d’un pays à l’autre et l’on me payait l’illusion d’être à nouveau le sauveur des populations opprimées. Je pouvais aussi fuir la vie de famille avec le prétexte, inespéré, de devoir améliorer son ordinaire. Bref, on ne pouvait rien me reprocher. Personne n’était dupe. Moi, moins que personne.
J’étais fière de proclamer, à qui voulait l’entendre que d’être devant ou derrière un fusil, pour moi c’était du pareil au même. C’est à cette époque que j’ai rencontré une femme, travaillant en humanitaire comme moi, dont je suis rapidement tombé amoureux. Pour moi, c’était la dernière femme de ma vie, celle avec qui j’allais enfin me poser, me reposer. Elle me comprenait, connaissait mes fragilités. Elle réussissait à m’apaiser en me cadrant. Elle avait réussit à mettre mes démons en fuite…

L’insécurité pour survivre psychiquement

De nombreuses missions suivirent. Mon amie n’étaient plus dans le même pays que moi et mes démons en profitèrent pour revenir en force. J’ai eu la lâcheté de les laisser faire. Les hommes sont si lâches !

Sur le terrain, à chaque fois, je me sentais l’homme de la situation, enfin ! Certaines de mes compétences, acquises à l’armée notamment, me permettaient d’obtenir des autorités locales, des avantages pour la population dont je m’occupais, pour mon association. Mon action dans l’action nourrissait ma propre estime. Mes succès me portaient et je touchais de moins en moins le sol du commun des mortels. Séducteur dans l’âme, je me perdais dans d’innombrable aventures sans lendemain et mon amie l’apprit. Paradoxalement, mes succès logistiques en zone de grande insécurité me permettaient de survivre psychiquement et de ne pas sombrer dans la dépression. Elle se cachait, tapie derrière mes fanfaronnades. Cependant, d’une manière insidieuse, je perdais pied avec la réalité. Peu à peu, je me suis sentis l’élu de cette population en souffrance. Je me sentais indispensable….intouchable. C’est en tous les cas ce que quelques locaux bien placés me faisaient croire…Je me sentais de plus en plus à l’aise avec eux…flaté de leur compagnie…. et c’étais le but qu’ils recherchaient afin de profiter de cette promiscuité. Bien mal m’en a pris !

Un mauvais film d’action

Naïvement, je voulus croire que l’on avait besoin de moi. J’ai voulu le prouver. J’étais dans un mauvais film d’action. Plus rien ne pouvait me toucher.
L’ excitation des prises de risque quotidiennes, la chance de m’en sortir à chaque fois, l’admiration de mes collègues, la jouissance du pouvoir (fictif bien sur), la satisfaction personnelle de faire quelque chose d’utile, m’incitèrent à en faire plus, à prendre des risques inutiles, à outrepasser mes droits et mes capacités.
Je ne voyais plus, ni la manipulation des gens que j’étais censé aidé, ni celle de mes chefs, ni celle de mes soi-disant amis locaux et « bien placés ». Malheureusement, je me suis laissé bercer par les sirènes; je ne voulais pas écouter quelques rares voix qui me mettaient en garde! Je pensais : « Ces gens ne savent pas que je suis indestructible ! » «ils vont voir de quoi je suis capable ! » Et je dépensais beaucoup d’énergie pour me le faire croire !

La descente aux enfers

Les détails de la fin de mon histoire ont peu d’importance. À moins qu’ils soient encore trop douloureux pour moi pour être exprimés ici. Qu’importe car ils ont déjà fait le tour d’internet. Mais j’ai connu une nouvelle fois la descente aux enfers, la honte d’être rejeté, l’envie de me détruire. À n’être pas capable de
tourner la page, d’autres s’en sont chargés. Je vis maintenant seul ou mal accompagné. Mon amie m’a quitté. Ma femme m’a quitté. J’étais trop lâche pour le faire moi-même. Mes filles ne me voient qu’en me soutirant quelques avantages et j’ai compensé toutes ces années d’absence en leur payant une magnifique
robe de mariée.
Mes enfants ont fait leur vie. Mes maîtresses ont arrêté de pleurer. Et tout le monde m’a oublié. C’est à ce moment là que j’ai choisi de franchir le pas.
Réfléchir enfin comme un adulte, à près de 60 ans!

Moi, ancien militaire….jamais!

Chaque semaine, je me connecte. Chaque semaine un psychologue humanitaire m’aide à ranger ma vie pour mieux la supporter.C’est dans le cadre des organisations non gouvernementales que je les avais vu à l’œuvre. Pour moi, il n’y avait que les femmes, les enfants et les réfugiés qui pouvaient en avoir besoin…Mais, moi, ancien militaire….jamais!
Et pourtant, n’ai-je pas été, toute ma vie, un réfugié, un homme qui fuyait sa propre condition trop angoissante ? n’ai je pas fuit ma propre vie en aidant les autres ? Ma vie ne fut-elle pas qu’un passage à l’acte gigantesque?
Et bien, croyez le ou pas, avec cet individu, psychologue de son état, j’ai appris ce qu’est être un humain au lieu d’un héros de papier. J’ai bien souvent les larmes aux yeux et peut-être pour la première fois de ma vie j’ose me montrer comme je suis. Je commence à me sentir libre! Un comble avec la vie que j’ai menée!

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