Même les petits rats sont léchés par leur mère

J’ai trente ans et je suis en train de naître au monde des vivants. Il y a quelques mois encore, j’aurais été incapable de me rendre compte que je ne vivais pas. D’ailleurs, il ne fallait pas que je vive: Pas le temps ni la place pour moi. Alors je me faisais la plus petite (c’est vrai que je suis toujours petite) et la plus discrète possible.

Une chambre noire

Dans la chambre noire, la forme informe est assise dans un fauteuil, les cheveux hirsutes, une odeur de renfermé et de perpétuelle moiteur, les volets toujours fermés, des vêtements et des assiettes à moitié vides par terre.
Parfois, pendant une journée entière, un même disque craquant sur le tourne disque: Petite, ce sont les seuls souvenirs de ma mère. Un triste et mort tableau poussiéreux. Un père absent, que j’essayais sans cesse d’entrevoir lorsque je sentais son after shave planer dans la maison. Mais il ne restait jamais longtemps dans la maison. Très occupé par son métier de représentant de commerce, on communiquait par petits papiers posés sur la table de la cuisine.
Le soir ou le matin, je trouvais dans la cuisine ce que j’avais demandé. Un paquet de crayons de couleurs, un pot de Nutella, un savon au lait, et parfois un carnet tout neuf pour continuer à écrire mes petits mots. Le week-end, je restais avec lui. Il m’emmenait au zoo, voir un de ses copains, ou bien faire du bowling.
Elle, elle ne sortait jamais.

Les femmes de la rues ressemblaient à des poupées et ces enfants qui leur donnaient la main… Parfois, leur maman les grondait. Je restais regarder comme si j’assistais à un film. J’attendais la suite…
Je ne me souviens d’aucune main me caressant ou me lavant, aucune bouche m’embrassant, mais je n’ai jamais été battue non plus. Mes relations avec ma mère se résumaient à 2 ou 3 passages dans sa chambre par jour sauf quand elle délirait. Parfois elle me voyait, parfois elle m’ignorait.

Un détail avant coureur

Comme un petit animal, je savais lorsque la journée serait une journée de délire. Mais je ne sais toujours pas comment je le savais. Mon esprit avait sans doute appris à reconnaître les signes d’une nervosité, un regard vide qui devenait moins vide, un détail avant coureur des crises de ma mère. Je le sentais c’est tout.
Ces jours là, je ne montais pas et je ne faisais aucun bruit. J’entendais des coups contre les murs et ma mère qui hurlait soit en pleurant soit en insultant. Dans tous les cas, rien, absolument rien ne pouvait me faire monter les escaliers vers les chambres. Ces jours là, je faisais mes devoirs dans la cuisine et je m’allongeais sur le canapé du salon.

Lorsque mon père rentrait, je dormais déjà. J’ai toujours été correctement habillée. Mon père m’achetait le nécessaire pour l’école, mais je n’ai jamais su si quelqu’un m’aimait. D’ailleurs, je ne savais pas à cet âge, qu’il était possible d’être touchée ou embrassée. Il y avait la vie des films et l’autre, la nôtre.

Des sentiments étriqués

Je ne me posais aucune question. Personne ne m’en posait d’ailleurs, pourquoi aurais je commencé? Je n’avais pas l’habitude. Mes sentiments étaient étriqués, raides, secs, froids et devaient le rester. Question de survie je suppose. Lorsque j’avais le bonheur de passer chez une petite copine, je voyais bien que leur mère nous parlait, nous souriait. Elle était même habillée, maquillée et revenait souvent avec des grands sacs de nourriture qu’elle sortait de la voiture… Il y avait toujours un chat, un chien ou une perruche chez elles… Parfois, la mère nous préparait un chocolat avec des brioches.

Une forme informe chez moi

Je voyais mais je ne faisais aucun lien avec ma propre mère. C’est-à -dire que pour moi, il y avait d’un côté une mère vivante chez mes amies et une forme « informe » dans une chambre chez moi. Rien de plus. Je ne me plaignais pas. De quoi d’ailleurs aurais je pu me plaindre? Il n’avait rien à dire. Mon esprit ne se permettait pas de faire un rapport entre ces deux personnages.
Des grands parents? Oui, à l’autre bout de la France. Des oncles des tante ? Pas que je sache. Pas de frère, pas de sœur.

Grand-mère de dessins animés

Seulement la femme de ménage de l’école qui habitait près de chez moi. Elle sentait toujours la poudre et ses lèvres étaient rouges. Je restais des heures devant la fenêtre de ma cuisine pour la guetter. Lorsque je la voyais, je sautais dehors et souvent elle m’amenait chez elle.
Chez elle, il faisait chaud et ça sentait bon. Il y avait un gros chat qui se frottait à mes jambes. J’aimais lorsque je sentais sa chaleur et son pelage doux sous mes doigts. Je parlais avec cette femme qui ressemblait à une grand-mère de dessins animés.
Chez elle non plus je n’ai jamais vu d’hommes, mais il y avait souvent d’autres femmes qui papotaient et qui me donnaient des gâteaux et du chocolat. Son salon était plein de plantes et de fleurs et je me demandais pourquoi elles n’étaient pas dehors … à quoi elles servaient… et puis ces fenêtres toujours ouvertes… c’était ça les questions pour moi !

Je doute de ma mémoire

Et puis, un jour mon père m’apprit qu’il divorçait. J’avais 11 ans. Avec le recul, je doute de ma mémoire et de la question qu’il m’a posée. Et pourtant, il m’a demandé avec qui je voulais rester. J’ai répondu avec ma mère. Aujourd’hui, je suis incapable de dire pourquoi je fis cette réponse. Je ne peux que supposer que je ne voulais pas laisser ma mère seule. Mais je ne suis même pas sûre que j’ai réfléchi réellement à la réponse… en fait je crois que je n’ai pas compris la question, de ce qu’elle impliquait surtout pour ma vie future…. D’ailleurs, comment a t il pu me poser cette question d’ailleurs ? Et comment, même a-t-il pu divorcé d’une femme malade ?

La vie a changé pour moi. Ma mère sortait maintenant de sa chambre et passait son temps à déambuler dehors. Personne ne venait à la maison. Nous n’avions pas de téléphone non plus. Je passais de plus en plus de temps chez ma voisine. Je suis partie au collège et j’ai connu la honte de porter un secret…mais je ne voyais pas vraiment lequel. Je savais que je ne devais pas parler mais je ne savais pas pourquoi. Peu à peu la haine contre mon père m’envahit; pourquoi m’a-t-il laissée seule? Un abandon, la solitude. Un enfant dont personne ne se souciait. Bizarrement, je n’ai jamais ressenti de sentiment négatif envers ma mère. Aucun sentiment d’ailleurs!

Des minutes incroyables

Et puis un jour, à l’occasion d’une visite du propriétaire de notre maison, ma mère fit une crise de délire devant lui. Enfin, cela se passait devant un étranger!
Il appela l’hôpital psychiatrique et on l’emmena. Tout simplement.
D’une heure à l’autre, j’étais débarrassée de ce poids mort! Il n’a fallu que quelques minutes incroyables pour que des adultes rentrent chez moi, l’emmènent de force, me soulagent presque contre mon gré. Le propriétaire m’aida. J’en profitais pour prendre une petite chambre près de la faculté, sans me préoccuper du retour possible de ma mère. Je faisais encore un peu plus « la morte » afin de n’être pas obligée de la reprendre, si on ne la gardait plus… Tellement étonnée que cela fût si facile et rapide.
Je voyais parfois mon père mais nous n’avons jamais abordé ce point, comme aucun autre d’ailleurs. Depuis que je connais l’existence des services sociaux c’est à dire depuis que je ne m’occupe plus de ma mère, je doute de mes souvenirs. Comment tout cela a pu se passer et me perdurer ? Pourtant ça s’est passé comme ça. Ou plutôt il ne s’est rien passé du tout.
J’avais 25 ans lorsque je rencontrais mon ami. Jeune professeur à la faculté, il était cependant bien plus vieux que moi. Peu à peu, il m’apprit la vie. Peut-être que notre histoire n’a pas la fougue de la jeunesse… mais c’est pour moi une expérience unique. C’est une vraie histoire avec deux personnes qui vivent ensemble et qui s’aiment.
Pour la première fois, quelqu’un s’est occupé de moi. Je suis allée voir un dentiste, un gynécologue, un psychologue. Je suis allée chez le coiffeur. Je me suis acheté du parfum. J’ai été invitée chez les amis de mon compagnon. Des gens m’écrivaient pour autre chose que des factures et ce courrier était à mon nom!
Lorsque j’arrivais chez ma « belle famille », on m’embrassait, on me servait à table, on me demandait mon avis et on m’écoutait essayer de le donner.

Témoignage en pointillé…

Je tiens à donner ces détails car, pour en avoir parlé et travaillé dessus depuis, je réalise maintenant que ces émotions vous sont, sans doute, étrangères, sauf pour ceux qui ont vécu un début de vie similaire fait d’ombre et de silence, de hurlements et gesticulations, de maltraitance psychologique par une immense solitude… Je suis consciente que mon témoignage est en pointillé. C’est sans doute parce que moi-même, je suis en train d’apprendre à me souvenir et à mettre des mots dessus pour pouvoir un jour le penser «en continu ». En effet, grâce à mon ami, à la confiance qu’il avait en moi, j’ai réussi à entreprendre un travail psychologique. Je sais maintenant que dans mon malheur, il y a eu des petites lueurs qui m’ont sauvé de la folie.
Je poursuis ma psychothérapie, parce que s’il m’aime c’est que je peux m’aimer aussi. De plus, il m’a donné la force d’aller à mes premières séances. Je sais et je sens que ces consultations me sont indispensables pour me sortir de la nuit et apprendre à vivre. Mais tout en sachant qu’elles sont vitales pour moi ce fût parfois difficile de monter les escaliers, de sonner à la petite porte bleue de ma psychologue!
Mais maintenant, je suis capable de les monter, ces marches. Derrière la porte il y a toujours une femme qui m’attend, me sourit et m’écoute. Elle écoute ce que j’ai à dire ou elle entend ce que je ne peux pas encore dire, mais elle est là, pour moi, égale à elle même. Pour tous ceux et toutes celles qui me liront, je voudrais vous dire pourquoi j’ai témoigné ici. Si vous êtes arrivé jusqu’ici de mon témoignage, c’est sans doute qu’il a résonné en vous….S’il vous plaît, ne laissez pas les enfants psychologiquement abandonnés, sans aide et sans amour. Osez faire un signalement…Ecoutez ceux qui ne peuvent rien dire!
Même les petits rats sont léchés par leur mère ou une congénère.

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