Tout un chacun connaît la magistrature assise et la magistrature debout. Moi, aujourd’hui, je fais l’expérience de la haute administration couchée.

Je suis une fonctionnaire aujourd’hui en fin de carrière. Ce statut, si souvent décrié, je le revendique pourtant solennellement. Ceci, tout simplement parce que j’ai toujours cru au service public, c’est-à-dire, clairement, aux services à rendre, dans l’honnêteté et la neutralité, à tous les usagers, qu’ils soient humbles ou puissants.

Travailler en direct avec un ministre

Pour moi, ce ne sont pas de vains mots même si je suis consciente qu’ils peuvent paraître succédanés.
Bien évidemment, je ne néglige pas le fait qu’en exerçant la « puissance publique », mon ego et mon orgueil ont pu être particulièrement soignés. Pensez donc, moi, fille de « pauvres », ayant du cravacher ferme pour gravir la pyramide sociale! Ainsi, travailler en direct avec un ministre et en période de crise majeure, lui dépeindre la perception de la situation par les usagers, lui suggérer des solutions de sortie du conflit, le voir les retenir, sentir sa confiance et partager une certaine complicité, quel plaisir et quel sentiment doux du devoir accompli !!!

L’indépendance dans l’interdépendance

De plus, j’exerce ma fonction dans le domaine social et j’ai souvent reçu les remerciements, pour ne pas dire les louanges de ceux, à l’adresse de qui j’ai très fréquemment pris des décisions.
Elles ont été, bien souvent, très difficiles pour moi, mais bien sûr surtout pour eux. J’ai cependant dû les prendre avec le souci constant de servir l’Etat, ce qui est souvent appelé pompeusement l’intérêt collectif.J’occupe aujourd’hui un poste élevé dans la hiérarchie administrative. Je persiste à cultiver la règle de l’indépendance dans l’interdépendance, c’est-à-dire en particulier protéger le citoyen des intérêts partisans.

Rester digne

Ces règles de déontologie et d’éthique, se sont bâties tout doucement pour moi. Il faut dire que le terrain avait été préparé tout au long de mon enfance par des parents qui m’ont donné tout l’amour possible et qui m’ont aussi appris la rigueur et la droiture.
Chez moi, on avait le droit d’être pauvre, mais on devait rester digne. Ma formation a structuré ces règles de base. Je les ai faites miennes tout naturellement, sans doute aussi parce que l’humanisme m’est toujours apparu comme la condition absolument nécessaire pour rendre la vie sociale la moins pénible possible.

Comment a-t-on pu en arriver là?

Là aussi, merci à mon père chéri de m’avoir laissé son empreinte, lui qui a souffert dans sa chair plus de 5 années de captivité en Pologne: Il aurait aisément pu avoir un esprit revanchard; au lieu de cela, il m’a guidée vers la vraie question: Comment a-t-on pu en arriver là ?
Tout cela m’a naturellement menée vers le service de tous: la fonction publique telle que je l’ai dit plus haut, avec la fierté d’en faire partie. Mais aujourd’hui, les choses semblent changer: A juste titre, la réforme en cours des services publics introduit la notion d’objectifs à réaliser et – disons le – de performance. Cela est tout à fait légitime et je me suis personnellement engagée dans cette voie avec toute ma conviction, toutes mes convictions. La société change. Il me semble de mon devoir de m’adapter selon les principes de ma fonction.

L’opportunité jouissive de plaire

J’ai cru que certains de mes collègues, les plus proches, ceux qui ont la même formation que moi et qui font partie de mon environnement professionnel depuis de longues années, s’engageaient dans la recherche de l’efficacité en gardant le sens du service public tel que je l’entends et qui nous fût enseigné en son temps. C’est une erreur profonde: Ce qui les intéresse dans cette démarche, c’est l’opportunité jouissive de plaire au pouvoir politique de plus en plus interventionniste. Il est cependant vital pour la démocratie, de ne point confondre servir l’Etat et servir le pouvoir politique.

Se satisfaire des flatteries dédaigneuses

Ce que ces collègues hauts fonctionnaires montrent à voir pourtant, est un besoin chronique d’afficher à quel point ils savent se faire obéir. Aveuglés par un milieu manipulateur et profondément carriéristes, ils préfèrent confondre crainte avec respect de la part de leurs subalternes. Ils en viennent à se complaire et se satisfaire des flatteries dédaigneuses de nos politiques de tous bords.
Se confondant avec des liquides ils prennent la forme du vase. Ils sont capables de changer radicalement d’avis, du jour au lendemain et sur un même sujet, dès l’instant oú ils ont cru percevoir que cela ira dans le sens voulu c’est-à-dire politiquement correct.
Pour eux, peu importe l’intérêt collectif réel. Ce qui compte, c’est d’aller au devant des demandes des cabinets des ministres, prévisibles ou pas. Le bien de l’usager devient qualité négligeable et sa consistance est celle du papier avec lequel on enrobe les cadeaux. La substance de ce « bien de l’usager» reste simplement un sac d’arguments qui pourrait aider à justifier l’objectif que le politique risque de devoir présenter dans l’avenir.

J’éprouve souvent du dégoût

Je suis aujourd’hui mal à l’aise. J’éprouve souvent du dégoût. Je peine à me rendre au travail et je culpabilise. Je commence à m’interroger sur le bien fondé de mes principes de vie. Ne ferais-je pas fausse route?
Je recherche des faits, des avis qui pourraient m’orienter. J’en trouve, mais sont-ils vraiment réels, objectifs? Ne sont-ils pas guidés par d’autres considérations? Mon opinion, mes engagements ne sont-ils pas déterminés inconsciemment par mes convictions profondes?
La réalité est-elle réelle ou vue au travers d’un prisme dû à mes émotions et mon vécu ? Est-ce que toutes ces questions qui me taraudent et me font parfois douter du bien-fondé de ma rigueur intellectuelle ne doivent pas me faire penser que, moi aussi, je suis peut-être en train de rentrer dans un processus de manipulation? De harcèlement? Dois-je chercher une nouvelle orientation ? Un nouveau métier ? Me mettre au tricot? Me battre encore?
Et dans ce cas là , oú? Avec qui? Chacun connaît la magistrature assise et la magistrature debout. Moi, aujourd’hui, je fais l’expérience de la haute administration couchée.
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