Candidat à l’expatriation ?
Qu’est ce qui se joue ou se déjoue, au niveau de la subjectivation/désubjectivation, pour celui qui décide ou est contraint de s’expatrier ?
Quelle prise en charge appropriée pour le sujet expatrié ?
Avant de tenter de répondre à ces questions, il nous faut expliciter les deux termes : Expatrier et Subjectivation.
Le terme « expatrier » au niveau étymologique renvoie à « ex patria » qui signifie « hors de, loin de la patrie » ; quant au terme de patrie « terra patrum » c’est la dimension de la terre, de la nation qui est privilégiée. Si nous poussons plus loin l’étymologie nous tendons vers la notion de « patrem » (nom. Pater) qui signifie Père.
S’expatrier serait donc être loin de sa terre, être loin du père voir être loin de ses parents ; finalement s’expatrier c’est se séparer du pays, de ses parents ( le père/pater, la mère-patrie).
La subjectivation renvoie à la prise de conscience de soi par le truchement d’une (re)découverte-création du sens engageant l’être tout entier. C’est une reconnaissance et une réappropriation de son histoire afin qu’advienne le Sujet.
Dans une perspective nietzschéenne, la subjectivation y est définie en tant qu’ « opération artiste » ou comme « vouloir-artiste c’est-à -dire s’inventer de nouvelles possibilités de vies. Condition qui nécessite de pouvoir sortir de soi, être hors de soi et éviter la répétition de scénarii bloquant toute évolution possible à l’émergence du Sujet.
Ce qui nous semble important d’annoter, c’est que l’expatriation renvoie à la séparation effective du sujet avec son environnement géographique et familial ; quant à la subjectivation elle renvoie à la nécessité pour qu’advienne le Sujet à sortir de soi par l’élaboration de possibilités de vie. L’achoppement de ces deux termes offre une nouvelle ouverture, celle du dépassement de Soi.
La position soutenue est la suivante : L’expatriation n’est que l’expression dans la réalité du mouvement interne (psychique) qui anime le sujet. C’est la mise en acte, dans le réel, d’un mouvement psychique, celle de la subjectivation, en (re)construction.
Que l’expatriation soit volontaire ou obligatoire, elle provoque ce même état celui du deuil de la séparation qu’elle soit géographique ou parentale. La distinction entre l’expatriation volontaire ou contrainte, semble « superficielle » en ce sens où quelque soit le mode, elle réactive ou réactualise les mouvements psychiques du sujet.
Le déplacement géographique accentue et cristallise cette construction du Sujet et exacerbe les problématiques sous-jacentes à la séparation.
Bien que les motifs explicites de l’expatriation soient pluriels, le même mouvement interne anime les individus, celui de l’avènement du Sujet.
Vers une clinique de l’expatrié
Dans la clinique du sujet en expatriation, il nous faut prendre en compte une triple dimension :
– celle de la (re)construction du sujet,
– celle de la séparation du sujet avec son environnement familial et enfin, celle du retour mais non un retour au même.
Les deux premières dimensions soulèvent la mise en sens, en mots de ce deuil de la séparation provoquant ou réactualisant la (re)construction du sujet. C’est permettre, par la mise en sens du vécu « traumatique », d’éviter de doubler l’expatriation géographique d’une expatriation interne, à savoir devenir « étranger » à soi. C’est d’aboutir à l’avènement du Sujet pour ne plus être « étranger en/dans soi » quelque soit l’espace géographique.
Ainsi, c’est se démarquer de la position ethnopsychiatrique où l’émergence des failles narcissiques, identitaires et/ou symptomatiques sont issues essentiellement par le déracinement, le déplacement géographique. Si la position est celle de l’avènement du Sujet nous n’oublions pas pour autant l’accomodement, l’apprivoisement du sujet à ce nouvel environnement géographique et culturel.
C’est abonder vers la singularité du sujet tout en reconnaissant que l’être se construit par et avec son environnement.
C’est s’axer sur le Sujet en tant qu’être singulier et un être en relation.
Pour se faire, c’est accompagner le sujet, dans un premier temps, vers cet étranger en posant les pré-requis ) l’émergence d’une subjectivation, ce que nomme Cahn par la subjectalisation. Subjectalisation rendue possible par l’imposition d’un cadre thérapeutique où le sujet pourra dire et se dire.
Si le travail clinique impose un cadre, c’est bien parce qu’elle tient lieu d’une restauration d’un environnement sécure pour celui/celle qui ose dire et se dire, pour celui/celle qui va à la rencontre de l’autre pour se rencontrer, se reconnaître et s’ouvrir à « l’étranger en/dans soi ». Ainsi , le travail clinique proposé est de permettre à l’individu de se ré-approprier cet étranger afin qu’émerge le Sujet.
– La troisième dimension, prise en compte, est celle du retour.
La position soutenue est que l’expatriation ne peut s’envisager sans la détermination, par le sujet, d’une échéance.
En ce sens, où le retour signe un nouvel exil. C’est le retour vers un ailleurs et non un retour vers le même, celui idéalisé ou cristallisé.
Apprivoiser ce retour vers l’ailleurs, c’est préparer le sujet à une nouvelle séparation et une redécouverte d’un environnement passé non immuable. C’est préparer le sujet à s’ouvrir à l’étranger, à rentrer en contact avec le monde sans que cela le contraint à un ré-enracinement mais bien à cette ouverture vers le possible, vers la créativité. C’est trouver sa place de Sujet quelque soit l’environnement géographique.
Ainsi, la reconnaissance de ces trois dimensions signe la particularité du travail clinique entrepris auprès des expatriés : celle d’apprivoiser le deuil de la séparation par l’avènement du Sujet.
Le retour, une régression ?
Comment revenir à son point de départ sans avoir le sentiment de régresser voire de perdre son autonomie ?
Nous soutenons l’hypothèse selon laquelle la décision du retour réactive chez le Sujet des angoisses de régression.
Nous rappelons que s’expatrier c’est « être loin de sa terre, être loin du père voir être loin de ses parents ; finalement s’expatrier c’est se séparer du pays, de ses parents ( le père/pater, la mère-patrie) » ( V.Hoang).
Finalement, prendre la décision du retour serait psychiquement et inconsciemment pour le Sujet régresser au stade infantile, celle de la dépendance aux parents.
Or, les motivations intrinsèques des « Sujets » à s’expatrier relèvent de ces tentatives d’autonomisation et de mise a distance géographique avec les parents, avec le milieu socio-familial.
Il y aurait donc achoppement entre les raisons inconscientes qui ont motivé cette expatriation et celles du retour. Achoppement créant chez le Sujet, une certaine ambivalence dans la décision du retour.
Outre le travail de reconnaissance de la Séparation, de la Perte et du fantasme de la Belle au Bois Dormant le travail clinique va consister a permettre au Sujet de réinvestir voire de consolider ses bons objets internes.
Nous entendons par là , les bases de son identité qui vont permettre au Sujet de continuer sa quête identitaire sans pour cela se sentir diviser. Et tendre ainsi à la créativité nécessaire à la poursuite de sa migration vers son pays d’origine.
PAR VICTOR HOANG, PSYCHOLOGUE CLINICIEN,
DOCTORANT EN PSYCHO-PATHOLOGIE CLINIQUE, FRANCE -VIETNAM
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